Week end ordinaire
un dimanche qui ressemble à tous les autres
moite et grisâtre, pas vraiment beau, pas vraiment moche
juste assez pour que la nausée se conserve à bonne température
repas avec la belle famille
le beau père arrive, mal au dos, vieillesse, fatigue, fin de vie,
déprime
tout le monde paiera pour ses douleurs de vivre
belle maman procède à sa traditionnelle inspection
rideaux, table, serviettes, couverts, fenêtres, vêtements des enfants…
propreté, disposition, choix, dimensions, usure
tout y passe
exhaustivité sans faille
le four sonne
le poulet dominical fait son entrée
la belle mère rumine
le poulet aurait pu être plus tendre si elle l’avait laissé cuire plus longtemps
beau papa continue à semer ses acidités
marre du poulet, le mari en a marre
marre d’avoir sa mère sur le dos
lui aussi mal au dos
c’est vrai ce poulet est trop sec
toujours pareil, jamais parfait
Severine, enfin !
encore raté le poulet du dimanche
pourtant tous les dimanches
c’est pas compliqué
à force, tu devrais savoir !
les enfants s’agitent,
tu as laissé des plumes maman
je mange pas ça
il est nul ton poulet, moi je veux une cuisse, plusieurs même
maman la prochaine fois, il faudrait plus de cuisses
bourdonnement
les enfants crient toujours
en face la belle mère agite imperturbablement ses lèvres
éducation des enfants zéro, zéro !
beau papa
j’aime pas le poulet
j’aime pas les haricots verts
j’aime pas les patates
j’aime pas les dimanche
j’aime pas manger
j’aime pas vivre
j’aime pas ma femme
j’aime pas mes enfants
elle prend tout Severine
essuie tout triple épaisseur
ultra absorbant
mais ça commence à faire des auréoles
ça déborde pas mais ça tâche
vite plateau de fromages !
pont l’évêque, munster, reblochon
que ça sente fort
l’âpreté du fromage gagne sur l’acidité des mots
un peu de douceur maintenant !
passons au dessert, vite
crème brûlée pour tout le monde
casser la couche supérieure avec le dos de la cuillère
lentement par petites touches
sentir la couche se craqueler doucement
Severine bouillonne
et visiblement ça commence à déborder
feux d’artifices en fond
fête foraine à côté
allez on débarrasse !
allons-y, pour les enfants !
Arrivée à la fête foraine
les j’aime pas de beau papa se mêlent à la foule
les assauts de belle maman au brouhaha
les enfants jubilent
papa a de quoi reluquer autour de lui
histoire d’oublier un instant ses deux vaches
la pression retombe pour tout le monde
Les enfants insistent
Le Palais des glaces, on veut, on veut
un labyrinthe entier de miroirs
un bon moyen de perdre beau papa et belle maman
parfait
de s’éloigner de sa femme, de son mari
laisser les enfants se cogner à eux même
parfait
on entre
belle maman fascinée par l’étendue des miroirs
se demande rêveusement comment elle s’y prendrai pour nettoyer tout ça
beau papa n’aime pas, évidemment,
mais cet autre qui lui ressemble lui interdit de se plaindre
Severine surveille de loin les enfants
le mari disparaît assez vite
les voix au loin persistent
puis tout à coup
Severine est seule
soulagement d’abord
elle tâtonne du bout des doigts pour trouver les issues
elle s’arrête, fait un tour sur elle-même
stupeur
des severine partout
partout
malkovitch malkovitch
malkovitch malkovitch
miroirs déformants
soi découpé, démultiplié
la panique gagne
parler à voix haute pour tromper la peur
euh, euh, je ,je ,je
je sais pas, pas pas, pas pas
bégaiements en échos
l’effet est terrifiant
voix d’outre tombe, réverbération amplifiée
elle se voit enfin
sous tous les angles, en même temps
cul de sac entre soi et soi-même
la sanction tombe
oeil mort en série
soi creux puissance l’infini
kaléidoscopes de vides
elle n’est rien
une hésitation
une indécision
pronom personnel indéterminé
indéfini
sonnée, elle ne peut plus bouger
aucun geste, aucun son
elle ne peut plus rien, le vide est trop grand
dans sa tête, ses tripes
peux plus se mentir
bloquée dedans
l‘écho infini de son néant l’immobilise
elle s’écroule
infarctus cérébral
coma
au bout d’une heure, la famille inquiète a appelé les secours
les pompiers la déposent sur un brancard
elle se laisse faire, impuissante
dans l’urgence les pompiers se jettent vers la première issue
choc
dommage
pendant quelques instants
balai de pompiers cherchant une sortie
la tête de Severine se cognant nonchalamment à chaque paroi
même l’extraction est béguayante
depuis
Severine reste prostrée,
immobile sur sa chaise roulante
enfermée dans ce labyrinthe de néant
réduite à ses fonctions vitales
elle n’a pas retrouvé l’usage du langage
elle ne rêve plus
elle ne bouge plus
respire à peine
les médecins affirment que son corps n’a aucune lésion
qu’elle est en parfaite santé
et lui promettent une longue vie
euh…
un long vide